Avez-vous déjà constaté combien nous réécrivons – a posteriori – les souvenirs de ce que nous avons vécu ?
Sophie Guignard raconte dans son livre « Je choisis donc je suis » une expérience qui l’a interpelée : après avoir vécu 3 années épuisantes en banque d’affaires , elle s’est surprise à découvrir qu’elle s’en souvient comme des 3 meilleures années de sa vie. Comment cela se fait-il ?
Le « moi du vécu » versus le « moi du souvenir »
En fait, cette dissonance entre le vécu et le souvenir est classique. Daniel Kahneman (Living and thinking about it, the two perspectives on Life) l’explique en distinguant deux « moi » :
- le « moi du vécu » qui vit au présent
- le « moi du souvenir » qui revisite le passé et réécrit l’histoire
Et, notre « moi du vécu et notre « moi du souvenir » perçoivent le bonheur de façon différente !
Pour le montrer, il s’appuie sur une expérience.
- dans un premier temps, il a demandé à des personnes de plonger leur main pendant 60 secondes dans une eau à 14°C
- puis, il leur a demandé de replonger leur main dans l’eau à 14°C pendant 60 secondes, et il a prolongé l’expérience en leur demandant de mettre leur main dans une eau à 15°C pendant 30 secondes supplémentaires.
Quelques minutes plus tard, il leur a demandé quelle expérience ils voulaient renouveler :
- 60 secondes à 14°C
- ou 90 secondes dont 30 secondes à 15°C
La logique voudrait que les personnes choisissent l’expérience la moins longue. Parce que 14 ou 15°C, c’est quand même très froid ! Et l’expérience 2 consiste à s’infliger du froid plus longtemps.
Et bien, étonnamment, la grande majorité a choisi la seconde option !
Pourquoi ?
Kahneman explique que nous avons tendance à ne retenir de nos expériences que 2 types de moments :
- l’intensité de moments inhabituels (un changement, un moment intense)
- et l‘intensité de la fin de l’expérience : la manière dont l’expérience se termine
Et notre esprit oublie complètement la durée.
C’est sur cette base qu’on va construire nos souvenirs : on oublie la grande majorité de notre vie, et on reconstruit tout sur des moments très courts et particuliers.
Cela explique que :
- on peut garder un bon souvenir d’un accouchement, même dur, parce qu’il s’est bien terminé
- Sophie Guignard garde un bon souvenir de ses années de banque, certes très dures au quotidien, mais ponctuées de moments forts comme assister au mariage de la nièce du ministre des finances d’Angola
- on peut garder un super souvenir d’un voyage en famille même si les enfants ont été insupportables parce qu’on en a rapporté de belles photos
- si une personne nous fait une crasse, on peut oublier tout ce qui s’est passé de chouette avec elle tout le reste du temps à cause de la manière dont se termine la relation…
- la perception, dans notre souvenir, de 2 semaines de vacances, est à peine meilleure que 1 semaine…
Le « moi du souvenir » aux commandes de nos décisions
Et le truc le plus incroyable, c’est que, quand on prend des décisions, on le fait depuis le « moi du souvenir » : nos choix de métier, de relations sociales, de vacances, … On ne choisit pas entre des expériences, on choisit entre des souvenirs d’expériences. Si on a eu un moment horrible pendant des vacances, et qu’en plus ca s’est passé à la fin des vacances, il est fort probable qu’on en garde un mauvais souvenir alors que 99% du temps se sera bien passé. Et bien on prendre sa future décision de vacances sur la base de ce 1% !!
Et quand on pense au futur, on ne pense pas vraiment au futur lui-même, mais en anticipant les souvenirs de ce futur !
Ainsi, selon un sondage effectué après de 1000 millenials par Schofields, une société d’assurances de domicile au Royaume-Uni, et publié en 2018, 40% des jeunes choisissent leur destination de vacances en fonction de leur « instagrammabilité ». Peu importe s’ils vont devoir, pendant une semaine, déambuler avec des flots de touristes, attendre dans le froid ou risquer de tomber dans le vite, ils veulent LA photo et le souvenir qui restera.
Tout cela se joue évidemment de manière inconsciente.
Alors, vaut-il mieux faire des choix qui privilégient le bien-être sur le moment ou les bons souvenirs qu’on va pouvoir se créer ?
Kahneman nous propose d’ailleurs de réfléchir à la question suivante :
Si, pour vos prochaines vacances, vous saviez d’avance que toutes vos photos seront détruites et que vous allez avaler une pilule qui vous fera entièrement oublier vos vacances, ferez-vous le même choix de vacances ?
Question vraiment pas facile !🤪
Ce que je retiens de cela
- attention à la manière dont on prend ses décisions ou dont on se parle d’expériences passées : il est peut-être intéressant que quelqu’un nous aide à nous souvenir des 99 % du temps qu’on a oubliés…
- faire attention à la manière dont on termine des expériences (vacances, fin d’un métier, …) : il y a de grandes chances que cela soit cela dont on se souvienne
- penser à créer des aspérités dans la vie (des changements inattendus, des moments plus forts) : cela crée des souvenirs
Par exemple, faire des choses improvisées : regarder un film le soir avec les enfants alors qu’il y a classe demain, proposer d’aller manger au restaurant, …


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