Il y a certaines discussions qu’on redoute tellement qu’on les évite.
- Vous hésitez à dire à votre voisin ce que vous pensez de la nouvelle clôture qu’il vient de poser. Mais à chaque fois que vous le croisez, ça vous brûle la langue.
- Vous avez du mal à dire à votre salarié qu’il ne rentre pas assez de contrats. Parce que vous vous demandez comment le lui dire sans le blesser.
- Votre mari rentre toujours tard et cela vous irrite parce que vous aimeriez passer du temps avec lui mais vous ne savez pas comment lui dire parce qu’il est très stressé en ce moment.
Le dilemme : dire la vérité ou ménager la personne ?
Même si des choses nous empoisonnent la vie, nous avons tendance à éviter les conversations qui nous mettent mal à l’aise.
C’est une peur qui nous vient de notre enfance : on y a appris que ce n’était pas possible à la fois de dire la vérité ET de faire plaisir à quelqu’un.
- Ce n’est pas possible de dire à sa grand-mère que sa tarte aux poireaux est mauvaise ET lui faire plaisir.
- Ce n’est pas possible de dire à tonton André que son cadeau ne nous plait pas ET ne pas le vexer.
Inconsciemment, ce genre de situation vécue influence la façon dont nous réagissons aujourd’hui.
Et donc même si une chose ne nous convient pas, et qu’elle devient de plus en plus pesante, on n’ose pas l’aborder de front.😱
Malheureusement, les problèmes ne disparaissent pas tout seuls, comme par magie. Et ne rien dire risque de créer peu à peu des tensions dans la relations. Tensions qu’on voulait justement éviter en ne disant rien…
Il vaut donc mieux parler.
Oui, mais comment ?
La méthode CREPE
Dans le livre « Conversations cruciales » (que je vous recommande), j’ai découvert une méthode intéressante pour oser lancer une conversation difficile : la méthode CREPE.
- Les trois premières lettres du CREPE (CRE) concernent le « quoi » (ce que vous dites).
- Les deux dernières lettres (PE) traitent du « comment » (comment vous le dites).
Voilà ce que veulent dire les lettres :
C – Commencer par les faits
R – Raconter votre histoire
E – Encourager à répondre par une question
P – Parler avec confiance
E – Ecouter et être humble
Voilà le détail :
C – Commencer par les faits
Exposer les faits.
Attention, les faits, pas des interprétations.
Pour savoir si on énonce bien un fait et pas une opinion, on peut se demander si quelqu’un pourrait le dire parce que ca s’est vu de l’extérieur.
Par exemple :
❌ « Ce matin vous étiez encore en retard » -> ça n’est pas un fait, « en retard » est un jugement
✅ « Ce matin, vous êtes arrivé à 8h30 » -> n’importe quel observateur aurait pu le dire, c’est un fait.
Ce n’est pas toujours facile de démêler les faits des opinions, mais c’est très important.
Car commencer par une opinion, c’est la meilleure façon de mettre son interlocuteur sur la défensive.
Attention : vous allez partager VOS faits. Il faut être conscient que sa vision des choses peut être PARTIELLE. Votre interlocuteur pourrait ajouter des faits additionnels.

R – Raconter votre histoire
Pour que le dialogue puisse se nouer, il est indispensable que notre interlocuteur comprenne le cheminement qu’on a fait dans notre tête.
C’est un peu comme si on leur donnait le décodeur pour voir comment on est arrivé à une pensée.
Un exemple
Dans le livre, l’auteur prend l’exemple de Brian qui est dans l’équipe de Fernando :
Fernando a demandé a Brian de faire des points tous les 2 jours.
Et voilà ce qui s’est passé dans la tête de Brian :
Brian pense que Fernando ne demande ca qu’à lui et à personne d’autre dans l’équipe -> il se dit que Fernando n’a pas confiance en lui.
Mais peut-être que ce n’est pas vrai ?
– Peut-être que Fernando le fait avec les autres et qu’il ne le voit pas.
– Peut-être que Fernando a eu une mauvaise expérience avant lui et qu’il a besoin de temps pour faire confiance ?
– Peut-être que le dossier sur lequel il travaille est très technique et nécessite une attention plus particulière.
En fait, il est souvent possible d’interpréter les choses de plusieurs manières.
Si Brian allait voir Fernando et lui hurlait « J’en ai marre, tu ne me fais pas confiance !« , Fernando ne comprendrait pas.
Voilà ce que Brian pourrait dire pour aborder le sujet et permettre un vrai dialogue:
BRIAN : « Je travaille ici depuis maintenant 2 mois et depuis mon arrivée, tu m’as demandé que nous fassions un point ensemble tous les 2 jours. J’ai constaté que ce n’est pas ce que tu fais avec les autres membres de l’équipe. Tu m’as également demandé de ne pas prendre d’initiative sans avoir échangé avec toi au préalable. (LES FAITS)
FERNANDO : « Oui, c’est vrai. Mais où veux-tu en venir ? »
BRIAN : « Je ne sais pas si c’est comme cela que je dois l’interpréter, mais, pour être franc, je commence à me demander si tu me fais confiance. Je me dis que peut-être tu penses que je ne suis pas à la hauteur ou que je risque de commettre des erreurs irrécupérables. » (RACONTER SON HISTOIRE)
Vous en pensez quoi si vous vous placez du côté de Fernando ?
On comprend clairement ce qui se passe dans la tête de Brian, non ?
On ne se sent pas attaqué.
A ce stade, on a deux possibilités :
- soit l’hypothèse de Brian est juste, et on a un problème de confiance. Dans ce cas-là, c’est amené de manière assez habile pour qu »on puisse aborder le sujet qu’on n’a peut-être pas osé aborder avant
- soit l’hypothèse est fausse. Et ça donne l’opportunité de comprendre et de rectifier et peut-être d’ajuster son comportement pour ne plus laisser penser cela.
Montrer qu’on est conscient que c’est une histoire qu’on s’est racontée
Raconter son histoire est la partie la plus complexe.
Pour éviter de mettre le feu aux poudres, il s’agit de raconter l’histoire avec précaution.
Les auteurs proposent des idées de formules à piquer :
- « Je pense que… »
- Je crois que… »
- « Selon moi, on pourrait.. »
- « J’ai l’impression… »
- « Je commence à me demander si… »
- Je ne sais pas si c’est comme cela que je dois l’interpréter, mais, pour être franc, je comme
E – Encourager à répondre par une question
Vous venez de vous exprimer.
C’est le moment d’inviter votre interlocuteur à
- exprimer des faits complémentaires que vous auriez oubliés ou que vous ne connaissiez pas
- exprimer ses sentiments à lui
Et, évidemment, vous devez être ouvert à revoir les choses sous un angle nouveau 😁
Le mieux, pour cela, est de poser une question ouverte.
« Comment vois-tu les choses ? »
« Qu’en penses-tu ? »
« Comment peux-tu m’aider à comprendre ? »
« Est-ce que je me trompe ? »
P – Parler avec confiance
Il ne s’agit pas de s’excuser ou de faire comme si ce n’était pas important (ne pas dire « je sais que ce n’est probablement pas vrai... » ou « Tu vas me prendre pour un fou mais…« ).
Il s’agit quand même de ce que vous avez pensé.
Mais il ne faut pas braquer non plus son interlocuteur.
Toute la complexité va donc être de parler avec confiance tout en laissant la place à une vision différente et ouvrir au dialogue.
Pour nous éclairer sur la nuance, voilà des exemples que nous donnent les auteurs :
| ❌ Trop doux | ❌ Trop ferme | ✅ Parfait |
| « C’est peut-être une idée bête mais… » | « Comment se fait-il que … » | « Je commence à me demander si… » |
| « C’est probablement de ma faute, mais… » | « Apparemment, tu n’as plus confiance en moi » | « Je commence à me dire que tu ne me fais plus confiance ». |
💡 Astuce : éviter de dire des mots absolus comme « jamais« , « toujours« , « à chaque fois », « rien« . Ils blessent et ferment l’autre au dialogue.
E – Ecouter et être humble
Vous devez faire sentir à l’autre que vous êtes disposé à tout entendre.
Il ou elle doit se sentir en sécurité pour avoir envie de partager ses observations, sentiments et conclusions, surtout si elles sont différentes de la votre.
Pour cela, vous pouvez encourager le débat :
» Vous voyez peut-être les choses différemment ? »
» Je me demande si j’ai bien compris la situation ? »
« J’aimerais vraiment avoir ta version des faits et comprendre ce que tu en as pensé »
« Je sais que c’est un sujet où certains préfèrent réserver leur jugement, mais j’aimerais vraiment entendre me dire ce que vous en pensez. »
Ou, pour éviter les malentendus, vous pouvez aussi expliquer ce que N’EST PAS votre intention et confirmer ce qui EST vraiment votre intention.
« Je ne cherche pas à … Ce n’est pas mon intention. J’aimerais que… »
« Mon intention n’est pas de … Je veux… »
« Je ne veux pas que tu me croies mécontent de … Je souhaite que… »
« Je ne voudrais pas que tu penses que…. Je voudrais partager avec toi que… »
Un exemple de conversation difficile géré avec doigté
Dans le livre, l’auteur prend l’exemple de Anita.
Elle vient de faire quelques courses avec Ambre, sa fille de 16 ans.
Au moment de payer, elle ouvre son porte-monnaie : vide !
Elle était pourtant sûre d’avoir 40 euros.
Elle se rappelle que sa fille lui a demandé de l’argent hier.
Immédiatement, elle se dit que sa fille a piqué dans son porte-monnaie.
Comment le dire sans créer un esclandre avec une ado qui peut partir au quart de tour et risquer de rompre leur communication ?
Voilà la proposition des auteurs du livre :
ANITA : Ambre, à la caisse à l’instant, je pensais avoir 2 billets de 20 dans mon porte-monnaie et je voulais payer avec. (FAITS)
AMBRE : Oui, et ?
ANITA : Quand j’ai ouvert le porte-monnaie, les 2 billets n’y étaient pas, alors que je les avais bien vus hier. Je me souviens que tu m’avais demandé des sous pour sortir, j’ai refusé de t’en donner. (FAITS)
AMBRE : Oui, et ?
ANITA : Du coup, je me demande si tu ne les aurais pas pris ? (HISTOIRE AVEC PRECAUTION)
AMBRE : Tu penses que je t’ai volé tes sous, c’est ça ?
ANITA : Je ne sais pas quoi penser. Je t’ai dit ce que je savais et c’est pour cela que je m’interroge… (QUESTION)
AMBRE : ET bien…
ANITA : Ma chérie, je ne veux pas t’accuser, je sais que je peux te faire confiance, tout le monde fait des erreurs, j’en ai faites aussi à ton âge. Le plus important pour moi est qu’on soit en mesure de se parler, même si on a des choses à se reprocher. (EXPRIME CE QUE N’EST PAS SON INTENTION POUR METTRE SA FILLE EN SÉCURITÉ)
AMBRE : Oui, je les ai pris. Je voulais te les rendre ce soir avant que tu t’en rendes comptes…
Cette conversation n’a pas dû être facile.😁
Mais en utilisant la méthode CREPE, ANITA a pu aborder de front le sujet de litige.
Et surtout de ne pas casser la relation.
En bref, la méthode CREPE
- Commencer par les faits : ce sont les éléments les moins contestables de votre cheminement de pensée
- Raconter votre histoire : partagez les conclusions que vous en tirez – en prenant soin de montrer que vous êtes conscient qu’il s’agit d’une hypothèse que vous avez faite
- Encourager à répondre avec une question : poser une question ouverte pour inciter l’autre à vous éclairer sur leur cheminement de pensée
- Parler avec confiance : n’édulcorez pas votre message mais racontez votre histoire comme une histoire, pas comme s’il s’agissait d’un fait
- Écouter et être humble : créez un cadre sécurisant pour les autres pour qu’ils se sentent d’exprimer leur point de vue même s’il est différent ou opposé au vôtre.



Cet article m’a aidé lors d’un entretien que j’ai dû avoir avec un bénévole de notre association de soutien scolaire. Il est très important de rester factuel et bienveillant. Les termes à utiliser ne doivent prêter à interprétation. Et nous avons mis fin à notre collaboration de façon très sympathique et sans fausse note. merci pour ces articles.
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un énorme merci pour ce témoignage ! ça donne envie de continuer à publier 🙂
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